La mauvaise pente de la communication politique

D’après le Figaro du 23 février, le lobbying reprend en vue de modifier la loi encadrant la communication politique. J’évoque le sujet avec Michel Rocard qui a fait l’objet d’amicales invitations à diner. Nous nous sommes vite accordés pour dire que cela serait mal venu.
La très faible participation aux élections régionales a mis en évidence, une fois de plus, que les politiques ne savent pas s’adresser aux citoyens pour les intéresser au fonctionnement de la démocratie ou pour les convaincre de leurs bonnes intentions, ni pour les associer peu ou prou à la conduite de l’action publique.
Les candidats et les partis sont obnubilés par la conquête du pouvoir, plutôt que par son exercice. De leurs côtés, les médias, essentiellement attachés à l’actualité et aux anecdotes, sont coresponsables d’une communication qui se borne aux effets d’annonce, aux auto satisfactions, à des évitements ou à des règlements de comptes.

Depuis les années 80, les Français n’admettent plus d’entendre les bruits des campagnes électorales venir interrompre, juste quelques semaines, les longs silences du déroulement des mandats. Ils ont manifesté un certain écœurement à l’égard d’une communication électorale restée à l’heure de la propagande, dispendieuse en slogans simplistes et à l’origine des dérives peu glorieuses du financement de la politique.
Aussi la loi dite Rocard du 15 janvier 1990 a-t-elle été accueillie comme une utile contribution à la moralisation de la vie politique.

Déjà en partie voulu par Jacques Chirac, le plafonnement des dépenses électorales s’imposait, comme la transparence des ressources des partis politiques et le suivi des comptes de campagne. Depuis 1991, plus de cinq lois sont intervenues pour s’ajuster aux réalités. Peut-être faut-il encore accepter de relever quelques plafonds ?
En revanche, de l’avis de Michel Rocard, ce serait une grave erreur que de toucher aux principes de deux dispositions essentielles.
Un, on doit absolument éviter de ravaler la politique au rang d’une marchandise pour consommateurs passifs. Les citoyens aspirent à être associés à l’élaboration de l’offre politique. Il en va de la qualité du vivre ensemble.
Deux, les actions de communication électorale ne doivent pas bénéficier du financement public des collectivités concernées par un scrutin, pour des raisons évidentes de neutralité et pour que les candidats sortants n’abusent pas de rentes de situation.

Ainsi, tout d’abord, le premier alinéa de l’article L.52-1 du code électoral, écrit par ladite loi, interdit l’utilisation de tout procédé de publicité commerciale par la voie de presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle à des fins de propagande électorale pendant les trois mois précédant un scrutin et pendant le déroulement des opérations électorales.
En dépit des protestations des professionnels de la publicité, cette disposition a été bien accueillie pour la dignité des acteurs de la démocratie [après le point de vue de 17 publicitaires : «Il faut débrider la communication politique», dans Le Figaro du 15.11.06, voir dans « Articles », la réponse du 19.11.06 de Pierre Zémor: « Cessons de dévoyer la communication politique »]. Candidats et élus se portent mieux de pratiquer une communication de conviction que de se bercer des illusions d’une communication de promotion. Les citoyens applaudissent le coup d’arrêt mis aux dérives de la com’ politique. Les militants trouvent à mieux utiliser des moyens modestes dans une communication de proximité et de dialogue,  par petites réunions et en allant à la rencontre des gens.
Le lobby des agences n’a pourtant pas désarmé. Il revient à la charge pour que la communication politique soit « libérée des entraves mises à sa liberté d’expression»… Est-elle oubliée la leçon de ce premier tour de la présidentielle de 2002 égaré en publicité comparative entre Jacques Chirac et Lionel Jospin ? Des affiches ou des spots télévisés parlent-ils  mieux aux opinions déroutées et aux silences inquiets ? Ou, à l’instar des Etats-Unis, veut-on en venir aux débauches de formules lapidaires et privées de réalité, aux dénigrements faciles et aux insultes qui pimentent le spectacle?

En second lieu et encore dans le sens du sérieux et de la sérénité du débat public, le deuxième alinéa de ce même l’article L.52-1 du code électoral proscrit, durant les six mois qui précèdent le scrutin, le financement public de campagnes de promotion publicitaires vantant la réalisation ou la gestion des élus d’un territoire soumis à élection.
Ou encore, l’article L.50-1 prévoit que, pendant ces mêmes trois mois avant un scrutin, un candidat ou une liste de candidats ne peut effectuer à leur profit la publicité d’un numéro d’appel téléphonique ou télématique mis en place gratuitement par une collectivité.
Ces dispositions ont eu l’effet vertueux d’encourager, tout au long des mandats, des mises à disposition d’informations et des échanges réguliers. Les collectivités locales, au-delà de faire valoir leur identité territoriale et leurs atouts, s’efforcent de mieux communiquer avec leurs publics et de faire comprendre les rôles que leurs ont conférés décentralisation et transferts de compétences.

A s’en tenir à la promotion et à ne pas s’ouvrir à la discussion, la communication politique est terriblement réductrice de la complexité de la chose publique. En se contentant de l’affichage des politiques ou des lois, en se dispensant de rapprocher les promesses des actes, elle n’inspire plus confiance, ni ne s’avère capable d’expliquer que des engagements puissent évoluer si les circonstances l’exigent.
Les professionnels de la communication, et les agences notamment, devraient sortir leur créativité du champ de la facilité des messages publicitaires. Ils seraient bienvenus de mettre leur art au service d’une communication de relation durable entre les citoyens et le monde politique. Le cahier des charges requiert l’écoute réciproque et le dialogue, la controverse et la concertation en quête des compromis sociaux, bref le débat public d’une démocratie adulte.